Ombre au tableau
"Ombre et rocher" - Alexandre Koening
Les vents de révolte se font si nombreux, et à propos de tant de choses qu’on ne les entend plus. Entre le grondement des mauvaises nouvelles servies en fast-food à toute heure de la journée et celui non moins assourdissant des autoroutes, des avions et des machines à laver le linge et la vaisselle, nous planquons nos oreilles sous les casques en tout genre. La musique adoucit les mœurs et le cancer nous guette au travers des ondes téléphoniques, peu importe pourvu qu’on se tienne à bonne distance hertzienne de la fin des uns et de la faim des autres. L’ombre portée sur le mur serait-elle celle d’un voisin qu’il suffira de rentrer la tête dans les épaules, de diriger le faisceau des phares longue-portée juste à côté, là où la route est bien large, sans risque de se perdre dans les recoins sombres.
La nôtre propre, plaquée au sol ou rejetée derrière nous comme une cape de suie grise, nous ne la découvrons qu’à rebours, avec incertitude, cette ombre dans l’ombre trop petite ou trop grande pour s’y reconnaître. Elle est tout ce qui reste d’un passage furtif, muette et sans âme, telle le symbole exact du peu de choses que nous sommes, et que nous laisserons.
Plutôt que l’évocation stupide d’un téléphone portable j’aurais voulu voir sur l’image un coquillage et des mains d’enfant, humer la brise d’une falaise au bord de la mer le plus loin possible d’une quelconque et humaine construction…
Pour cela il me faut de nouveau de toute urgence tourner le bouton off de la télévision et assurer ma sauvegarde – à défaut de me tourner les sangs pour celle des autres à laquelle je ne peux rien, ou si peu – le plus loin possible de cette routine assujettissante : la pseudo-conscience de masse me semble être la pire des dictatures ! Voyez comme il fait gris dans mes mots, sans la douce lumière qui rend à l’ombre ses contours et à l’humanité sa si fragile et perfectible nudité.
Exercice 37 - Ecriture sur image