Dites trente-trois
Illustration provisoire. Je ne connais pas l'origine de cette image.
La bête tapie au fond de la grotte a ouvert un oeil. Puis deux, puis dix. C'est un monstre mais pas une chimère. Le temps glisse sur elle, parfois l'amoindrit jusqu'à la rendre transparente, ténue jusqu'à l'inexistance. Leurre. Le temps glisse sur elle sans jamais la tuer. Au réveil pas un signe de vieillissement sur sa cuirasse, bien au contraire. Elle prend du poids, de l'épaisseur. Lourde et grosse comme prête à enfanter un ouragan. Les cycles se succèdent, dans son ventre de gargouille la digestion se fait rumeur puis grondement. Elle exhale des poisons brûlants comme un volcan qui s'ébroue après un siècle de sommeil.
Comme elle s'étire elle explose les murs, embue les huis grises qui se couvrent de larmes.
J'ai rencontré un humain. Enorme. Un phénomène d'empathie dont je ne soupçonnais plus l'existance depuis longtemps. Je lui ai parlé de la bête, de son grondement plus fort qu'à l'accoutumée. Il semblait la connaître et pour l'attirer hors de sa tanière afin de la peser et de la mesurer il lui a proposé un jeu : quelques séries de questions auxquelles elle a répondu sans peine et sans méfiance. Ensuite il a posé une grille avec des chiffres pour faire l'addition.
Trente-trois. Gros score. Ca lui a permis de nommer la bête pour m'aider à l'apprivoiser. Elle s'appelle "dépression". Il a bien vu aussi que ça s'agitait dans le fond, que ça tiraillait tous azimuts le long des nerfs tendus à bloc : elle a des copines, elle a fait des petits ! Des miello-quelque chose, j'ai pas bien retenu leur nom parce que la monstresse se nourrit de ma mémoire. Il me fait jouer au petit poucet avec des comprimés qui devraient apaiser sa fringale destructrice. Pour commencer, pendant qu'elle fait un petit somme je lui ai repris un peu de mes mots. Je crois qu'elle les gardait en otages depuis un bout de temps.